En
quarante ans de création, Yves THOS s’est imposé comme un
artiste international exemplaire. Chef de file d’une école d’affichistes
qui s’enorgueillit de compter parmi ses rangs des noms tels que
Vanni Tealdi, Yves Prince et Benjamin
Baltimore, il est l’auteur de chefs d’oeuvre aujourd’hui inscrits
au patrimoine mondial du cinéma.
Né
à Clichy, à un jet de pierre de l'endroit où Louis-Ferdinand
Céline exerçait la médecine, Yves Thos a débuté
à l'âge de dix-neuf ans dans le métier d'affichiste
de cinéma pour ne plus jamais le quitter.
Il
crée l'accroche visuelle de La Dolce Vita,
de Felini. Artiste de la brûlante affiche du film La
femme et le Pantin, son trait énergique révèle
alors une Brigitte Bardot provocatrice et tourbillonante d'érotisme.
Le
monde du cinéma devient son univers familier. Ce
qu'il met en images, d'affiche en affiche, n'est rien de moins qu'une mythologie
des temps nouveaux, un Parnasse cinématographique dont les reproductions
offset ornent les murs des villes de la Terre entière de leur quadrichromie
tour à tour violente, torride ou drôle.
Yve
Thos excelle dans la conception de jaquette de livres. Il en crée
plus de cinq cents. En 1965, au journal pilote,
il forme équipe avec Albert Uderzo
et René Goscinny. L’assertivité
de ses affiches est venue féconder son univers pictural, où
continuent de prévaloir l’efficacité plastique et l’art de
la narration.
Depuis
une quinzaine d’années, Yves THOS s’est mis à explorer une
veine de l’art contemporain qui procède directement de la révolution
communicationnelle de la deuxième moitié du XXè siècle.
En cela, son réalisme n’est qu’une apparence.
Il
ouvre des portes d’or et de marbre sur un monde symbolique où rien
n’est figuré, mais suggéré par une tension voulue
aussi bien dans la facture que dans les sujets, entre le sombre et l’éclat,
la jeunesse et l’âge, le sensuel et le hiératique, le dynamique
et l’intériorisation.
L'oeuvre
d'Yves Thos est trop ancrée dans son siècle pour que l'on
s'abstienne de lui trouver des parentés. Tout animé qu'il
est du souci d'être compris instantanément de tous et admis
par les médias, ses affiches et, plus tard, ses peintures s'inscrivent
dans une démarche comparable mais non similaire à celle du
pop'art qui, lui aussi, a su donner une esthétique et une profondeur
à la culture populaire
De
même que l’affiche s’est nourrie abondamment de l’image d’Epinal
et de la gravure des Daumier et des Steinlein,
de nos jours les tableaux de THOS puisent aux sources tonifiantes de l’affiche
et de l’art contemporain figuratif.
Pour
hyperfigurative qu'elle soit, l'imagerie de Thos n'est pas pour autant
à ranger parmi la création hyperréaliste. Là
où ce courant de l'art moderne cherche à reproduire, voire
à dépasser le réel à force de précision
technique et d'objectivité, le monde visuel de Thos est tourné
vers l'émotion. Idéologiquement, cela veut dire qu'il se
refuse à contraindre le regard de l'autre par l'illusion en deux
dimensions.
Son
oeuvre bannit la froideur et le vide. Son regard ne se pose que rarement
sur des objets inanimés. Peintre, il s'interesse au premier chef
à ce qui unit les humains ou les différencie positivement.
Ce
que Thos enfante dans la rigueur et l’onirisme est une génération
picturale nouvelle qui procède naturellement de l’un et de l’autre.
La perfection de la forme amplifie le contenu des rêves. Eloignés
des canons classiques, son traitement de la matière et ses sfumatos
y font écho, pour conduire le spectateur à travers
des paysages certes connus, mais jamais regardés sous pareil éclairage.
Peinture de belle facture, dira-t-on, académisme maîtrisé
et heureusement dépassé.
Sur
le chemin un peu solitaire qui conduit de l’hyperréalisme au lyrisme
poétique, Yves THOS montre avec quelle nécessité l’iconographie
propre à notre temps se décline en une nouvelle alliance
esthétique qui contourne, malgré son acuité, le maniéré
et le doucereux.
Impressionnant
virtuose de la lumière faite formes, jouant parfois aux limites
de la surexposition, de l’éblouissement, usant de blancs épais
et éclatants, retenant du cinéma le feu des projecteurs qui
se substitue au soleil sur le plateau, il lui plaît de situer ses
tableaux en équilibre sur le double tranchant de l’allégorie
et du néo-romantisme.
Praticien
accompli du contraste en matière de trait et de couleur, Yves Thos
l'est aussi dans la mise en scène de ses thèmes. Cet amour
du contraste plastique est là pour servir le jeu des oppositions
d'idées qui lui sont chères. Les situations qu'il nous propose
de visionner tirent leur signification des concepts, eux-mêmes tranchés
entre clair et obscur.
Il
nous prend à témoin de la dualité des forces de l'univers,
de l'enchaînement des causalités qui régit la destinée
humaine. Il nous soumet aux tensions du couple jeunesse-beauté,
nous exalte par la sensualité-intériorité, la volupté-humilité,
il nous subjugue dans le mouvement-inertie pour nous abandonner à
l'action rêve.
Les
titres des tableaux d'Yves Thos attestent de l'attention exclusive qu'il
porte à la femme, qu'elle soit africaine, russe, paysanne asiatique
ou gitane, qu'elle vive de la terre ou de la danse ou tout simplement de
sa propre beauté.
Chez
Thos, tout montre combien il redoute la verbosité des discours picturaux
oiseux. Il va droit au but de sa pensée. Musicien, Thos serait Satie,
pour son art du simple, pour sa gamme chromatique focalisée sur
l'essentiel.
Son invention magistrale
est celle d’un conteur du silence, d’un peintre enfin, grand et sans équivoque. |